from words

Au gré de l’heure et de l’humeur de nos tête-à-tête, mon gant de toilette, chair gorgée de caresses brûlantes ou glacées, efface au matin la tension des nuits blanches, les plis du sommeil, les cendres des cauchemars. Le soir, c’est tout autre chose. L’abandon s’affiche. Après une journée passée à être l’autre de moi-même, le gant, comme un élixir d’identité me redonne mon aspect fauve et naturel. D’un geste rond, la fatigue du paraître se dissout pour partager au contact de l’eau et du textile un moment perlé de retrouvailles virginales et bienveillantes.

Laurence Verdier, Broche / serviette éponge, perle de culture, perle baroque / 6 x 4,8cm
Joëlle Guillais, texte, création originale 

Je me souviens d’un jour de colère. D’impuissance, j’ai jeté l’assiette à travers la pièce comme on jette sa souffrance affective devenue trop lourde et qu’il est urgent de faire le vide pour respirer et vivre. En bordure ultime, en état de choc, je me serai perdue, et cassée de l’intérieur tant la douleur, ce mot douleur, avait creusé mes fibres sensibles jusqu’à la corde, ébréchant tout mon être. Un mot, un seul et un magma terrible s’infiltra dans les failles ouvertes de ne pas être désirée de toi ; c’est alors que le pire de moi entaillé du pire de toi s’envola sous le coup des sentiments fissurés par des mots vides de haine pour se briser au sol et se transformer en bijou de mémoire de l’emportement.

Laurence Verdier, Collier / tesson de céramique, jambes de porcelaine, chaine, fil de coton crocheté / pendentif: 8 X 6 x 4,8 cm
Joëlle Guillais, texte, création originale 

Au café des « Deux Magots ». Une femme est assise, belle et grave comme une diva. Elle a 28 ans. Elle s’appelle Dora Maar. Elle est artiste photographe. Pablo Picasso se tient un peu plus loin. Leurs regards se croisent. S’accrochent. En silence, Dora ouvre son sac. Elle s’empare d’un couteau, pose avec élégance ses mains à plat sur la table et de la pointe du couteau, en dessine le contour en griffant le bois et ses gants. Malgré la dextérité du geste, elle se coupe. Altière, Dora Maar relève la tête, et de ses yeux étonnamment clairs, fixe de nouveau Pablo Picasso. Commettant un rapt visuel. Un choc pour Picasso qui connaît l’enjeu de l’affrontement du regard dans la mise en scène artistique.

Les scarifications, la lame et les gants tachés de sang, ce visage qui a inspiré Man Ray, il n’en faut pas plus pour impressionner le peintre qui se lève, s’approche d’elle, et lui demande si elle veut bien lui offrir ses gants avant de quitter la scène.

Laurence Verdier, Objet pour les doigts / gant, perle de corail, bague / L 7 cm, Diam 1,5 cm
Joëlle Guillais, texte, création originale 

Que faire de ce morceau de latex transparent aussi fin qu’une membrane d’insecte, léger comme une plume pour ourler le sexe de l’homme compagnon, amant ou objet de désir au moment même où justement il ne faudrait plus se préserver mais s’offrir avec des « je t’aime » ou autres mots à susurrer à pleine bouche quand l’envie animale et brutale de l’accouplement ne peut plus attendre, pas même une seconde ?

Résignés, on le met en scène et on le porte à son sexe comme on porte un masque de carnaval pour se croire au dessus des virus de l’amour profondément toxique.

Et dans un souffle créateur, au bord de l’extase, avec ton latex imperméable qui ourle ta verge comme de l’écume de mer, seule panacée à l’abomination contagieuse de cette lèpre des temps modernes, il serait possible de jouer à cache-cache en signant de tous les dangers l’amour illicite ou inconscient d’une première ou dernière nuit.

Laurence Verdier, Broche / préservatif brodé, argent /diam. 5 cm
Joëlle Guillais, texte, création originale 

Texte original de Joëlle Guillais, Broderie de Laurence Verdier (texte 30 x 20 cm / dessin 30 x 30 cm)

(c) Matthieu Gauchet / (c) Sophie Chausse