Santiags Sanguines

Santiags Sanguines

histoires avec des mots, des images et des installations - 2014

Narrations à quatre mains entre les photographies de Matthieu Gauchet et les textes de Laurence Verdier. Les images nourrissent les mots et réciproquement. L’histoire s’invente au fur et à mesure de leur échange.

FAILLE PARANORMALE

photo Matthieu Gauchet / texte Laurence Verdier

Billy-Rose se nourrit essentiellement de chewing-gums bleus. En dragée. Fraicheur glacier. Elle les achète chez Henri qui tient l’épicerie en face de son appartement. C’est une toute petite épicerie. Une épicerie-dinette, avec un carrelage en damier noir et blanc, des murs épuisés mais vigoureux et une lumière pas convaincue de son éclairage. Henri met des huiles essentielles, du musc les jours pairs et de la lavande les jours impairs. Il range avec beaucoup de soin les différents produits sur les deux seuls rayons de son épicerie. Rayon Est : regroupement selon la théorie des lettres. Les cookies sont coincées entre le coton et les cartes postales. Les pommes-de-terre dialoguent avec les Penne et le papier toilette. Rayon Ouest : regroupement selon la théorie des couleurs. Les fraises Tagada côtoient les radis et les livres de la bibliothèque rose – oui il y a aussi des livres chez Henri. Billy-Rose va vers le rayon Ouest et attrape un paquet de chewing-gums fraicheur glacier entre les bouteilles d’eau, les nettoyants pour vitre et un tire-bouchon au manche outremer. Il faut toujours avoir un tire-bouchon dans son épicerie, assure Henri avec son air grave de marabout, et les chewing-gums fraicheur glacier pour mademoiselle Billy-Rose. Elle sourit en ouvrant son paquet et mastique des mots bleus pour répondre à Henri.

Elle se dirige ensuite d’un pas décidé vers le métro. Regard au sol. Mains mangées par les grandes poches de son imper. Elle observe le bout usé de ses santiags sanguines et reste plusieurs feu rouges à apprécier le contraste entre le cuir râpeux de ses chaussures et l’asphalte noir encore luisant de la pluie matinale. Ça lui fait penser à un tableau de Rober H, en plus vivant bien sûr. D’ailleurs, elle pourrait envoyer un message à Rober H. Elle traverse la route en pensant à lui et textote des débuts de phrase incertains qu’elle efface et qu’elle réécrit dans un autre sens. Il faut se rendre à l’évidence, les mots refusent de livrer un contenu léger et naturel. D’ailleurs ils se chamaillent, se mélangent et mutent en d’étranges duos. Le téléphone de Billy-rose s’est transformé en récréa-mots. Ils apparaissent deux par deux sur l’écran avant de disparaitre sous les doigts agiles de leur surveillante.

Faille paranormale – Anomalie verticale – Tabou lunatique – Fantaisie croustillante – Mur des idéaux – Terreaux des rumeurs – Odeur de la fuite – Isolement angulaire – Saturation des regards – Persistance rachitique – Canette des illusions – Froissement des désirs – Envie éventrée – Vertige corporel – Eclosion minérale – Vers-luisant – Cruauté poudrée

Il s’est remis à pleuvoir, elle efface cruauté poudrée et prend la sortie 4.

La départementale seize de Sedacirrab

photo Matthieu Gauchet / texte Laurence Verdier

Vous sentez la pluie froide sur votre corps nu. Vous êtes seul sur la départementale seize de Sedacirrab. Vous êtes allongé sur le bitume, vous ne voulez plus jamais bouger d’ici. Vous tendez faiblement votre main entre les lumières acryliques pour chasser le flou qui vous brûle la rétine. Pourquoi tout se brouille ? La focale est morte. Les images refusent de se fixer, elles tournent, elles glissent, elles coulent. Rien ne s’accroche. Cela fait longtemps que vos espoirs et vos désirs n’adhèrent plus à ni à votre peau ni à vote vie. Vous perdez pied. L’angoisse est vertigineuse. Mais vous ne pouvez pas tomber plus bas alors vous restez aimanté sur le macadam luisant. Froid mais stable. Vous pensez à l’impermanence des choses et à toutes ses conneries qui se hissent en rouge gyrophare dans votre esprit.

Vous sentez la pluie froide sur votre corps nu. Des milliers de gouttelettes fines dessinent une cartographie liquide entre vous le bitume. Un liant transparent et mouvant vous greffe à l’asphalte gelé. Votre peau noircit, durcit et s’enfonce dangereusement dans le bitume. Vous ne luttez plus et vos yeux se ferment. L’asphalte noir est sans espoir.
Vous sentez la pluie froide sur votre corps nu. Quand soudain, vous entendez des santiags sanguines qui claquent dans les flaques. Un bruit lointain mais qui vous pénètre tout entier. Les claquements humides se rapprochent et plus il résonne, plus le sang gonfle votre cœur. Votre peau s’éclaircit à nouveau. Les santiags giflent le bitume et emporte dans leur sillon des énormes confettis de lumières. Les couleurs ricochent jusqu’à vous et se braquent en lampe torche sur votre visage. « C’est par où l’église de Sedacirrab ? » demande la fille en haut des santiags sanguines. Elle a les cheveux trempés, un parapluie fermé sous le bras et mâche bruyamment son chewing-gum. L’église de Sedacirrab… ça fait mille ans que vous n’êtes pas allé là-bas.

Lors de l’exposition à la Villa Belleville, les photos et les textes ont été mis en scène avec une multitude d’indices sonores ou plastiques (reconstitution de certains éléments figurant dans le texte comme l’épicerie d’Henri ou les santiags sanguines). Cette « mise en fiction » permettait à chaque spectateur de rejouer l’histoire avec son propre imaginaire.

Hugo BARRÉ – son,     Aurélie BERTRAM – graphisme,     Anna BOZOVIC- voix,     Matthieu Gauchet – photo,     Laurence VERDIER – texte et mise en espace

écouter Faille paranormale

écouter Sedacirrab

écouter Confettis

écouter Claquant flopant

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